Ce pays qui te ressemble, Tobie Nathan
Publié le 28 Novembre 2015
Un pays aux mille visages
En 1957, Tobie Nathan doit quitter l’Égypte après la révolution. Dans Ce pays qui te ressemble, il nous fait découvrir son pays perdu, celui d'avant, dans la nostalgie et l'émotion.
1925. Haret El Yahoud. Ghetto juif du Caire, où se mêlent les anciennes croyances et les superstitions héritées de temps lointains. C'est là que naît Zohar Zohar, fils d'Esther, la « sorcière », qu'on a cru si longtemps habitée d'un démon, et de Motty, l'aveugle. Un bébé chétif, ce Zohar, qui vit à peine, qu'on ne peut allaiter, et voilà qu'on doit faire appel à Jinane, une danseuse du Delta, pour le sauver. Ainsi débute la vie de Zohar, « l'insoumis », « la Fumée », dans la tendresse d'un foyer, parmi les contes, chants et les danses, et dans l'interdiction absolue d'aimer sa sœur de lait, Masreya, « l’Égyptienne ».
Une rencontre, voilà ce qu'est Ce pays qui te ressemble. Une rencontre avec l’Égypte, dans sa magnificence, dans sa puissance, et dans sa chute.
Tout au long de notre lecture, le titre de ce livre nous hante : Ce pays qui te ressemble... Mais à qui ressemble donc l’Égypte ? À Zohar, insoumis, loyal, insaisissable ? À Masreya, la « danseuse enchanteresse », qui change sa vie ? À Farouk, dernier des pharaons, dans sa grandeur, puis sa décadence ? Ou bien à Nino, qui s'insurge, qui se révolte, pour finalement se perdre ? À moins, bien sûr, qu'on ne nous parle du petit peuple de la ruelle, qui vit loin du pouvoir, dans un monde de magie et de sortilèges ? Tobie Nathan nous emporte à travers un pays aux multiples visages, dont on ne peut saisir qu'un seul aspect à la fois, et qui, lorsqu'on croit l'avoir enfin compris, disparaît pour nous laisser entrevoir une autre de ses faces.
On découvre l'envers de la guerre, qui change la vie de Zohar. Cette seconde guerre mondiale, qui voit d'un côté la montée de l'antisémitisme et la peur des juifs de voir les nazis envahir leur pays, et de l'autre l'espoir de certains Égyptiens qui souhaitent le départ des Britanniques. Cette guerre aux mille retombées crée la pauvreté et la misère chez certains, enrichit d'autres, et divise le peuple égyptien à jamais.
Mais, derrière la cruauté et la haine, apparaît un visage éternel : celui de l'amour, qu'on retrouve un peu plus à chaque page. Dans le lien qui unit Esther et Motty, couple atypique mais indestructible. Dans le regard que porte Zohar à sa sœur de lait, Masreya, son interdit, son âme sœur, « la mère de tous [ses] amours ». Dans les chansons et les danses, qui façonnent la vie, qui créent le désir, et qui sèment les graines de la passion.
Tobie Nathan réussit, par la poésie et la justesse de ses mots, à nous faire découvrir un pays dont on ne connaît que les pyramides et les pharaons. En ouvrant son roman, on tombe dans un piège : les pages défilent encore et encore, sans que l'on puisse les arrêter. Il réussit à nous transporter à des milliers de kilomètres, et à nous faire remonter le temps pour que l'on replonge dans l'Égypte du milieu du XXe siècle. Résumer un pays et 30 ans d'histoire en seulement un peu plus de 500 pages, c'était un pari risqué, mais gagné grâce une finesse d'écriture et un style admirable.
Et dans les mots de Tobie Nathan résonnent les frasques d'une Égypte oubliée, à la fois celle d'hier et d'aujourd'hui.
Lucille, 1S2