Il était une ville, de Thomas B. Reverdy
Publié le 2 Décembre 2015
Détroit, ville fantôme ou ville de fantômes … ?
Détroit, ancienne capitale de l’industrie automobile américaine, est désormais à genoux… La crise des "subprimes" en est la principale cause. Détroit devient progressivement une ville "doughtnut" comme le dit un des personnages de ce roman : pauvre et vide au centre, riche en périphérie, comme rongée. Cette ville dont les écoles se vident est vouée à la perdition… C’est dans ce paysage dévasté où le silence résonne que Thomas Reverdy a imaginé son dernier roman. Le lecteur y découvre cinq personnages dont les histoires se croisent lors de l’automne 2008, funeste période de l’économie mondiale.
C’est dans un quartier au passé industriel flamboyant, mais aujourd’hui déjà presque fantôme, qu’Eugène, jeune ingénieur français, est nommé pour superviser le nouveau projet automobile , « L’Intégral », destiné à relancer l’économie de l’ « Entreprise ». Logé dans une tour au pied de laquelle se trouve ce qu’ils appellent tous, « la Zone », il tente de faire correctement son travail. En vain, car son supérieur hiérarchique ne lui répond plus depuis longtemps. Alors, pour fuir la solitude et ne pas sombrer complètement, il se rend tous les soirs au Dive In, bar qui désemplit peu à peu et que tient Candice, jeune fille au rire brillant et aux lèvres rouges. C’est ici aussi que vit Charlie, adolescent de douze ans, qui choisit de fuir, un matin. Il laisse derrière lui sa maison et sa grand-mère, Gloria, pour soutenir son meilleur ami battu par sa mère. Mais ils ne fuient pas seuls : à Détroit, ce sont des dizaines, des centaines d’enfants qui ont disparu. Mais pour aller où ? C’est l’obsédante question que se pose le lieutenant Brown, en charge de l’enquête. Les médias parlent d’une crise sans précédent, d’une « Catastrophe ». Les gens commencent à perdre leur emploi, leur voiture, leur maison… C’est la ville qui se fissure, se craquèle…Peu à peu, elle se vide de ses habitants, et ceux qui décident de rester sont comme engloutis les uns après les autres.
L’auteur fait de Détroit un personnage à part entière, cruel, sans pitié ; on l’entendrait presque respirer. L’hiver s’installe et la neige recouvre la ville d’un linceul immaculé. Il décrit sa mort lente et inexorable. Mais il s’attache surtout à conter le parcours de cinq personnages d’origines et d’âges divers, qui y vivent ou survivent. La ville fantôme fera-t-elle de ses derniers habitants des fantômes ? Le modèle économique s’effondre entraînant les plus fragiles dans sa chute. Toutefois, l’humain possède des ressources qui lui permettent de faire face et de se relever. La ville n’entraînera pas tous les habitants dans son tourbillon de désolation. Les personnages résistent, ensemble, et touchent le lecteur au cœur. L’écriture est à la fois poétique et sociologique, simple et pleine de souffle, et le roman, captivant et optimiste. L’auteur peint cet espoir immense, ce cri de rage et d’amour, démesuré, d’une grand-mère pour son petit-fils, d’un ingénieur pour une serveuse, d’une envie terrible de continuer à vivre malgré tout. Le lecteur, comme happé, évolue dans une atmosphère lourde, pesante, contemplant un effondrement sans précédent : uniquement des maisons et des immeubles, abandonnés et même en ruines et il comprend que Détroit symbolise la fin d’une civilisation : la nôtre.
Les habitants de Détroit ont un dicton : « Que la dernière personne à quitter Détroit éteigne la lumière … », mais cette lueur ne mourra jamais, car elle est celle de l’espoir …
Alexandre 1S2