Djaïbi Amadou Amal - Les Impatientes
Publié le 14 Décembre 2020
Des femmes frappées par la patience
Peule, musulmane et originaire de la région camerounaise, Djaïbi Amadou Amal connaît bien le sujet dont elle parle. Dans son roman Les Impatientes, publié d'abord sous le titre Les larmes de la patience, elle nous offre un témoignage inspiré de faits réels : mariée de force à dix-sept ans à un milliardaire de cinquante ans, l'auteure s'est inspirée de sa propre histoire et montre dans son livre le destin de trois femmes, qui subissent les violences d'une société patriarcale.
Écrit dans un langage courant, au plus près de la réalité, ce livre parle d'un sujet concret et actuel : la condition féminine dans un peuple africain. C'est l'histoire de Ramla, contrainte d'épouser le riche époux choisi par son père plutôt que le jeune homme dont elle est amoureuse ; c'est l'histoire de sa sœur Hindou, mariée de force à son cousin, un homme violent et immoral, qui ne respecte nullement sa jeune épouse et qui fait valoir ses droits conjugaux ; c'est l'histoire de Safira, la coépouse de Ramla, qui voit d'un œil jaloux l'arrivée d'une rivale dans son foyer, alors qu'elle aime son mari et partage sa vie avec lui et ses enfants depuis vingt ans
Le rythme soutenu du récit contribue à la qualité du roman. Tout au long de la lecture, la tension s'intensifie dans chaque portrait : Ramla va-t-elle réussir à convaincre son père de lui laisser la liberté de choisir son époux et de continuer ses études pour devenir pharmacienne ? Hindou pourra-t-elle supporter longtemps la maltraitance dont elle est victime au quotidien ? Jusqu'où Safira est-elle prête à aller pour retrouver la complicité qu'elle avait avec l'homme de sa vie ?
Mais l'intérêt du récit va bien au-delà : rédigé à la première personne, chaque portrait fait entendre une voix féminine. En façade, chaque héroïne accepte de façon résignée les décisions et actions des hommes dont elle dépend : elle est censée obéir sans se plaindre, selon la formule rituelle Munyal (« Patience! »), qui revient comme un refrain au fil des pages. Mais, en réalité, elle éprouve une souffrance profonde et essaie de se rebeller en allant chercher de l'aide auprès de sa mère : en vain ! Chaque mère est impuissante à apporter de l'aide à sa fille, car elle-même dépend de son époux et se trouve victime de la domination masculine.
Dès lors, le témoignage s'apparente à une dénonciation. L'histoire racontée par celle qu'on appelle « La voix des sans-voix » permet de se rendre compte de ce qui se passe au Cameroun et on ressent de la colère de voir ces femmes poussées à bout sans pouvoir rien faire. Cette colère, c'est sans doute aussi celle de Djaïbi Amadou Amal, qui appelle à un changement : les femmes doivent être libres, avoir des droits et pouvoir dire non aux excès de leur conjoint.
Le titre du livre est donc une jolie antiphrase de la morale peule inculquée aux jeunes filles. Alors que les femmes sont élevées pour être des épouses patientes et soumises, elles découvrent les limites de la patience, les limites de ce qui peut être supporté. Même si ce livre est sombre et ne laisse aucun moment de répit, il est poignant tant la réalité est choquante : il est conseillé à tous ceux qui aiment les histoires ancrées dans la vie quotidienne, qui apprécient la proximité avec les personnages romanesques et cherchent à réfléchir aux problèmes de la société actuelle.
Solenn