La descente aux enfers de Dom Juan

Publié le 4 Mai 2012

       Qu'est-ce que la mort ? Suis-je mort ? Mes membres brûlent et c'est là la seule chose qui semble réelle. Je ne me souviens de rien, mais je sais que quelque chose a existé avant cette mort. Quelque chose de long à raconter, et de mal qui plus est. Pourtant, j'ai cette conviction profonde que je suis, ou du moins j'étais, quelqu'un de mauvais, par plaisir ou malgré moi, cela importe peu maintenant.

       L'orage qui m'avait jusqu'alors englouti commence à se fracturer en plusieurs trouées dispersées, celles-ci laissant entrevoir une étendue d'eau. Il s'agit d'une mer verte et agitée. Ses vagues épaisses et troubles se disloquent violemment contre les rochers et l'écume monte jusqu'à me fouetter le visage. Tous les nuages s'en sont allés maintenant. Je cherche alors l'horizon. Où est-il ? Je ne distingue rien, la mer semble s'intégrer au ciel dans une harmonie parfaite. Je tends la main, comme si d'un geste j'allais faire apparaître un trait, une limite précise. Se mélangent maintenant en moi l'inquiétude et la fascination. Je me perds alors dans mes réflexions et me laisse absorber par la nature qui m'entoure. Tout devient flou et je baigne dans un sentiment d'intemporalité. La nuit est tombée, une nuit sombre et sans étoiles. Les insinuations de mon esprit se font plus claires et un chemin se dessine devant moi. C'est un chemin de campagne enneigé. Il fait toujours nuit et des silhouettes de sapins majestueux s'érigent à mes côtés, sur le bord du sentier. Ce qui est en train de m'arriver m’apparaît de plus en plus comme une épreuve, un parcours absurde et improbable. Peut-être cela devait-il m'effrayer ou me punir de quelque chose... Je m'élance sur la piste.

       Au fur et à mesure que je marche, je ressens la fraîcheur qui m'envahit ainsi que des petites pointes de glace venant me piquer la peau. Sans que je m'en sois rendu compte, il neigeait, et c'est à ce moment exact que je comprends mon inattention : il neige des flocons noirs. Après avoir pris conscience de cette réalité – ou plutôt de cette irréalité – je commence à entendre un léger chant, un filet de voix qui s'accentue à mesure que j'avance. Je me laisse alors subjuguer par ce qui se révèle être un chant de femmes, un chant qui se pose sur moi avec délicatesse, qui prend possession de moi. J'identifie la source de cette mélodie : la neige noire. Un flocon émet une note lorsqu'il se pose et fond, un flocon émet une voix. Un flocon, une femme.

       Sans prévenir, l'air s'accélère et la chanson devient plus entêtante, puis assourdissante. Je me précipite pour échapper à cette ariette infernale qui me brise les tympans. Je cours comme un damné à m'en arracher les jambes mais les femmes me poursuivent. Le vent glacial m'attaque de front et la neige s'infiltre au coin de mes yeux si bien que je ne vois plus rien et ne peux que courir vers l'avant. Soudainement, je suis au bout du chemin, l'endroit est apparu sans aucun signe annonciateur et le chant s'est calmé, je ne l'entends plus qu'en sourdine. Devant moi s'élève dans cette obscurité enneigée, au beau milieu des sapins, une immense porte ornée. Il s'y trouve gravées des sentences religieuses en latin, des figures sataniques mais surtout, la porte est munie de multiples yeux exorbités dont les paupières s'agitent. Encadrant le chemin menant à la porte, de vieilles connaissances sont rangées en file. Ils me fixent tous : Sganarelle, Done Elvire, mon père, la statue du Commandeur, et j'en passe... Des sons de cloches résonnent dans l'infinie noirceur, les chants se taisent et la porte s'ouvre lourdement sur des ténèbres insondables. L'étau se resserre sur moi, peut être ai-je peur, je ne sais pas, je ne crois pas. L'heure est venue, je m'avance fièrement, la fin du trajet m'appelle. Je traverse l'arche imposante et m'arrête dans l'obscurité. Les cloches ont cessé et la porte se referme. Je me retourne alors et vois pour la dernière ces visages familiers ainsi qu'au fond, la foule de femmes innombrables aux yeux vides et sanglotants. Comme c'est drôle, ils ont tous l'air déçus. La porte les efface tous un à un et se referme complètement.

Je suis arrivé, mon trône m'attend.

 

Clément A. 1A

Rédigé par Lettres

Publié dans #Réécritures de Dom Juan

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