La peau de l'ours de Joy Sorman
Publié le 3 Décembre 2014
De la bestialité des hommes
Parce que né en captivité du viol d'une femme par un ours, le narrateur est habité d'une double identité : il est mi-homme mi-animal. Alors que les hommes ne voient en lui que la bête, les femmes « ont vu l'homme et ont vu l'ours réunis sous la même peau. » Une force mystérieuse les attire mutuellement... Cependant, la lâcheté des femmes laisse libre place à la brutalité des hommes auxquels notre héros est soumis. Exploité par différents maîtres tous plus barbares les uns que les autres, cet « hybride monstrueux » nous raconte sa triste histoire d'ours de foire, de combat, de cirque, de zoo et, pour finir, de laboratoire. A travers son existence, il nous livre ses réflexions avec un regard neuf et unique sur la nature humaine et le sentiment animal.
Dans ce roman en forme de conte, Joy Sorman cherche à montrer l'humanité chez les animaux et la bestialité chez les hommes, ou comment la frontière est poreuse entre le monde animal et la condition humaine. Dans ce cas, comment expliquer notre attitude envers nos « frères animaux » ? Elle nous offre l'occasion d'une remise en question en posant le délicat problème du traitement des animaux. Plus encore, l'auteure nous pousse à nous interroger sur l'existence de la conscience animale dont l'étude intéresse de plus en plus la communauté scientifique. La peau de l'ours dérange notre conscience, bouleverse nos certitudes et nous oblige à nous remettre en question : qui des hommes et des animaux sont les vraies « bêtes » ?
Le titre évoque la fin du récit dans un raccourci saisissant : il s'agit de la dépouille mortelle du héros, de ce qui subsiste de lui quand tout est fini. Ce titre cynique est trompeur, il en cache un autre car, en réalité, c'est dans la peau d'un ours que le narrateur explore, à la manière d'un ethnologue, le monde des hommes. Joy Sorman brouille les pistes et inverse les rôles dans ce troublant récit qui nous fait perdre nos repères traditionnels.
Dotée d'une sensibilité presque animale, l'auteure utilise un style aussi efficace que riche et sensuel pour nous emporter dans ce conte cruel où le fantastique et le réalisme s'entremêlent.
Anna, 1L