Le cas Eduard Einstein – Laurent Seksik

Publié le 26 Novembre 2013

 

L'Einstein oublié

 

Au temps d'une Allemagne où les salles de conférences d'Hitler sont « interdite[s] aux juifs et aux chiens », se joue le sombre destin d'une famille brisée.

 

Cette sombre destinée, c'est celle de la famille Einstein, celle du fameux Albert. Nous sommes au tout début des années 1930 quand commence cette histoire. Albert ne vit déjà plus avec Mileva, sa première femme. Leur premier fils, Hans-Albert fait sa vie, il est architecte, tout va bien pour lui. Ne vous en faites pas. Eduard, vingts ans, promis à une brillante carrière de psychanalyste, va mal depuis quelques temps. Il voit des choses étranges. Il entend des choses étranges. Il fait des choses étranges. Le jour où il frappe sa mère lors d'une de ses crises des démences, tout bascule. Cette « catastrophe » le mène au « Burghölzli », hôpital psychiatrique très réputé de Zurich, la « pension de famille » pour les intimes. « La pension de famille » car plusieurs membres de cette famille y sont passés. La schizophrénie est donc bien une question de gènes.

 

« Nous sommes le jouet du destin », nous confie Tete, Eduard si vous ne voulez pas l'appeler par son surnom. Cette notion de « jouet » prend une tournure différente selon les personnes. Pour lui, ce terme est approprié. C'est un lourd « fardeau » que de porter ce nom, Einstein. Il ne l'a pas voulut. « S'appeler Einstein nécessite un apprentissage ».

 

Hélas, la vie poursuit sa route. Albert s’exile en Amérique, où « tous les Einstein sont les bienvenues […] du moins ceux qui ont la tête bien faite », dixit un représentant américain. Mileva reste aux côtés de son fils. Plus le temps passe et mieux va Eduard. Par périodes. Des séances « d'électrochocs », s'ajoutent au désespoir, à la tristesse, à la douleur et à l'incompréhension de la maladie mentale.Mais il faut comprendre, d'après les médecins c'est le meilleur moyen pour se refaire une bonne santé. Mileva décide d'amener son fils en cure, il commence alors à guérir, même si il ne le sera jamais tout à fait. C'est une lueur d'espoir à prendre quand même.Malheureusement, l'Histoire s'écoule sans arrêt, et le temps aura sa victoire sur les proches du fils Einstein. Il triomphera même d'une autre manière de cet enfant perdu, pour qui « [s]on père est de l'histoire ancienne ».

 

Grâce à ces lignes, Laurent Seksik nous transmet les pensées et sentiments d'Eduard, et celles des ses parents, à travers un délicat et subtil jeu de point de vue. L'écriture simple, fluide, qui ne s’encombre pas de jugement, témoigne de ce destin tragique, en révélant la vérité dans toute son horreur. L'effroi pour un père, de voir son fils « enserré dans une camisole » et qui « est le seul problème qui demeure sans solution », celui d'une mère qui « aurait préféré prendre la place d'Eduard » et se trouver « prisonnière, et lui un homme libre », et celui d'un fils que l'on « traite comme un demeuré ».

 

Le cas Eduard Einsteinpermet à ce « fils oublié », caché dans l'ombre d'un des plus grands noms de l'Histoire, de faire entendre sa voix. En l'écoutant, le lecteur, son confident, l'aide à comprendre, en parti, en l'accompagnant sur ce long chemin qu'est celui de la guérison, pourquoi et comment il en est arrivé là.

 

Un livre mélancolique, d'une simplicité touchante et émouvante, que l'on ne peut que relire encore et encore, pour faire exister ce fils délaissé.

 

Nolwenn, 1L

 

CRITIQUE

 

Rédigé par Lettres

Publié dans #Critiques littéraires - Goncourt 2013

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