Entretien avec Pierre Vinclair

Publié le 19 Mars 2020

Les circonstances sanitaires ont eu raison de la rencontre avec Pierre Vinclair. Il a néanmoins accepté de répondre à quelques questions que nous avions préparées avant le confinement. Qu'il en soit remercié...

 

Pourquoi écrire de la poésie ?

La poésie est pour moi la littérature dans ce qu’elle a de plus libre, quand elle arrête de singer les formes extérieures de la « littérature ». Par ailleurs, sa grande densité d’émotion fait que, même si sa lecture demande davantage de concentration, elle est beaucoup plus stupéfiante. Elle appelle de son lecteur, c’est sûr, une forme de collaboration ; c’est ce qui me plaît aussi. Le roman est un genre condescendant (le romancier est un producteur, le lecteur un pauvre consommateur), le poème plus égalitaire.

 

Pourquoi vous-êtes-vous expatrié ? Pourquoi la Chine ?

J’ai été Lauréat de la Villa Kujoyama (Kyoto) en 2010 et j’ai décidé de rester vivre au Japon. J’aime vivre à l’étranger, apprendre des langues, découvrir des civilisations. C’est comme un voyage touristique toute l’année, sauf qu’on apprend vraiment des choses et rencontre des gens intéressants. J’ai déménagé par hasard en Chine, à cause de Fukushima.

 

Qu’est-ce que la découverte de la culture chinoise a apporté à votre écriture ?

Un objet, d’abord : un thème. L’idée d’un ennemi (le capitalisme d’État chinois) et l’idée d’alliés pour le combattre (Confucius, Tchouang-Tseu, Li Bai, etc.) La traduction du Shijing m’a par ailleurs appris qu’un poème n’avait pas besoin d’être compliqué pour être beau.

 

Parlez-vous le mandarin ? Est-ce une langue compliquée ?

Oui. C’est une langue atrocement intéressante.

 

Pourquoi mélanger français, anglais et chinois ? Pourquoi la traduction anglaise en regard de certaines pages ?

C’est lié à la circonstance d’écriture : vivant dans un contexte international, il m’arrive d’essayer de vouloir être lu par des locaux, lors de festivals ou de lectures. Ensuite, quand cela a du sens, ou me semble en avoir, j’intègre la version en langue étrangère dans le livre, comme une manière de rappeler que le livre n’a pas vocation (même si c’est le cas en réalité) à être confiné à l’espace franco-français.

 

Pourquoi la disposition particulière des mots dans le recueil ?

Pour des questions de rythme spatial (ce sont des calligrammes abstraits, ou des cacogrammes !)

 

Pourquoi choisir de couper les mots en fin de vers d’une façon aussi surprenante ?

Pour des questions de rythme sonore (je coupe le mot au moment où le rythme le demande)

 

Avez-vous écrit vos poèmes avec le plan de votre recueil en tête ou les poèmes ont-ils été écrits de manière indépendante et regroupés ensuite pour  constituer la progression ? (On pense à la structure des Contemplations ou des Fleurs du Mal)

Ni l’un ni l’autre. La forme du livre est comme la carapace de l’escargot : elle ne le précède pas, mas ce n’est pas non plus un regroupement a posteriori. La forme est sécrétée, peu à peu, par le texte lui-même qui s’auto-organise peu à peu.

 

Faites-vous exprès d’utiliser des chiasmes ou autres figures de style ? Autrement dit, calculez-vous tous vos coups ?

La plupart des coups sont calculés (sans doute pas tous, j’imagine). Même si je ne me le formule pas en termes de « figures de style ». Les figures de style existent aussi peu pour le poète, je pense, que les mathématiques pour un footballeur. Quand on marque un but au foot, on calcule son coup, mais ça ne veut pas dire qu’on le calcule avec les outils mathématiques du géomètre qui permettent pourtant d’expliquer a posteriori la trajectoire.

 

Quel parcours de lecture associeriez-vous à votre recueil, « les mémoires d’une âmes » ou « la boue et l’or » ?

Ni l’un ni l’autre. J’associerais plutôt à mon recueil un bébé en train de bavouiller, et une grenade ! S’il faut vraiment choisir, « la boue et l’or », car Baudelaire est une figure importante dans ce livre, à tous les niveaux (Tableaux parisiens, préface du Spleen de Paris, poème en prose sur les nuages…)

 

Vous considérez-vous comme un auteur engagé ?

Oui. Je voudrais sauver le monde dans des poèmes. Non pas avec des messages, mais avec l’action propre des vers sur la page. (Pour l’instant, ça marche moyen).

 

Pierre Vinclair, 27 février 2019

Pierre Vinclair, 27 février 2019

Rédigé par Lettres

Publié dans #Printemps des poètes 2020 - Pierre Vinclair

Repost0
Commenter cet article