Réécriture de Dom Juan aux Enfers de Baudelaire
Publié le 8 Mai 2012
Dans ce travail d'invention, il s'agit d'imaginer le récit fait par Don Juan de sa descente aux enfers d'après le poème de Baudelaire (Dom Juan aux Enfers) et les tableaux de Delacroix (La Barque de Don Juan, Dante Virgile).
La Barque de Don Juan, Delacroix, 1840
Je chutais lentement vers les berges d'un fleuve,
La terre sous mes pieds apparaissait rugueuse .
Il me semblait entendre, mais je manquais de preuve,
Des femmes se languir de leurs amours affreuses.
Tandis que je tombais, j'apercevais une ombre,
Un ténébreux passeur, un obscur mendiant,
Les épaules voûtées sur une perche sombre,
Debout sur une barque, attendant les errants.
Enfin, j’atterrissais ! Mon choc sur la terre
Fut tellement brutal qu'un grand bruit de fracas
Résonna sur la rive. Les flots noirs s'agitèrent,
Mais redevinrent vite aussi lisses que la soie.
Je me relevais, fier, approchai la rivière.
Malgré ma longue chute, je ne souffrais point
Et me demandais donc : « En quoi est-ce un enfer ?
Quel sort si désastreux réserve-t-on aux miens ? »
Je montai sur la barque, m'y assis, tout au bout,
Quand l'homme vint vers moi, me demanda l'obole,
Je lui dis franchement : « Je n'ai pas un seul sou. »
Lorsqu'il fouilla mes poches, deux pièces tombèrent au sol.
J'ignorai leur présence, cela me stupéfia,
Mais après tout la mort, réserve des surprises.
Ainsi la traversée du fleuve débuta.
Le vrai enfer n'est rien de ce que croit l'église.
Tandis que j'avançais sur les flots verts et noirs,
J'entendis à nouveau de stridents cris de femmes,
Venant d'une île au loin d'où elles laissaient voir
Leurs corps disgracieux, des monstres privés d'âme !
Je haïssais ces femmes qui semblaient dévoiler
Au monde entier leurs corps. Cette vision affreuse
Était la pire torture qu'on eût pu m'infliger
Après tant de journées et d'heures si radieuses.
Mais malgré mon dégoût, je restais impassible.
Ces spectres sans attrait me provoquaient, mais moi
A l'arrière de la barque, je fixais, infaillible,
L'onde sombre agitée et le ciel en émoi.
Tous leurs cris s'effacèrent, un rire retentit
Je le reconnaissais, puisque c'était celui
Du valet si naïf qui partagea ma vie,
Restant à mes côtés, malgré son ineptie.
Il se moquai de moi, et réclamait ses gages.
Son voisin Don Louis pointait du doigt l'esquif
Sur lequel je voguais ; sans doute du fait de l'âge,
Son maigre doigt tremblait, désignant le « fautif ».
Je vis ensuite Elvire, au teint opalescent,
Ma délicate Elvire, à la robe d'argent,
Mon Elvire adulée, suppliant son amant,
Ma pieuse et hâve Elvire, regrettant son serment.
Je navigue toujours sur la sombre rivière.
Le temps me semble long, mais ne me trouble guère,
Je ne regrette rien, peu m'importe l'enfer,
Puisque la vie, j'insiste ! ne se vit que sur terre.
Suzie Cariou 1ère A